Les kakis du Japon

Je vous reproduis ici un article paru dans la revue horticole de 1893 sur les kakis du Japon et que je trouve intéressant de vous transmettre (vous noterez que certaines observations de l’époque ont évoluées depuis) :

Le Diospyros kaki est un arbre du Japon dont les fruits nourrissent les habitants de ce pays, comme les châtaignes, les figues, les dattes, nourrissent ceux des autres régions. Le kaki n’a pas, chez nous, la réputation qu’il devrait avoir ; on arrive rarement en Europe a obtenir de bons fruits. Sa culture, comme arbre fruitier, n’est pas encore répandue : je ne pourrai guère citer que Nice, Hyeres, Cannes, Monaco, Toulon et quelques endroits d’Italie ou on le cultive pour en tirer parti.

Au Japon, il tient la même place que chez nous les pommiers et les poiriers, et, comme pour ces derniers, on en crée chaque année de nouvelles variétés, dont le nombre est maintenant

considérable. Le port de l’arbre ressemble assez a celui de notre pommier, mais les feuilles sont plus grandes, plus nombreuses et souvent les branches retombent jusqu’à terre. Certains spécimens affectent la forme d’hémisphères ou de cônes d’une régularité telle qu’on les croirait taillés de main d’homme. A l’automne, quand les feuilles sont tombées, on voit de nombreux fruits, comme assis sur les branches, lesquelles, souvent, cassent sous leur poids ; leur couleur passe du jaune d’or de la mandarine au rouge écarlate de la tomate. Les fruits verts contiennent beaucoup de tanin, qui disparaît a la maturité ; il en reste seulement des traces dans la peau. Pour obtenir une maturité hative et faire disparaître complètement le tanin, on emploie des moyens artificiels que nous verrons plus loin.

La culture des kakis ne présente pas beaucoup de difficulté, a l’exception de la greffe, qui ne réussit cette culture serait rémunératrice.

On divise au Japon les divers kakis en variétés d’été ou à saveur douce, et variétés d’hiver ou a saveur âpre. Les premières mûrissent sur l’arbre et peuvent être immédiatement mangées ; les secondes ne le peuvent être que moyennant un procédé particulier. La variété la plus hâtive est le Wassen-Kaki, qui mûrit a la fin d’août : sa qualité est inférieure a celle des suivants. Les variétés qui mûrissent spontanément en automne sont appelées : Kizanaki, Kurakuma et Hatchija. On peut les manger a la fin d’octobre sans préparation artificielle. La peau est très fine, d’un rouge fonce et se détache facilement de la chair, qui est aussi rouge foncé et si succulente qu’on peut la manger avec une cuiller. Les fruits de ces variétés sont gros, surtout ceux de la variété Hatchija, qui ont un diamètre de 9 cm ; ce sont ceux qui sont les plus répandus, et l’on en consomme de grandes quantités dans la province de Tokyo pendant le mois de novembre. Viennent ensuite les espèces qui ne deviennent mangeables qu’après qu’on en a éliminé le tanin qui s’y trouve en grande quantité. Pour cela, les japonais emploient un procédé de fermentation, d’une durée plus ou moins longue, qui est le suivant : Ils cueillent les fruits encore verts et les placent, par couches séparées, dans des caisses remplies de paille de riz coupée court ou ils les laissent jusqu’à ce que les fruits soient mous et doux. Pour accélérer l’opération, ils les arrosent avec de l’eau chaude et laissent refroidir aussi lentement que possible. Ceux qui veulent hâter davantage la maturité remplacent la paille coupée par de l’eau-de-vie de riz dans laquelle ils font baigner les fruits verts.

Diospyros kaki Rev Hort 1936Diospyros kaki dans la revue horticole de 1936

Ces variétés, que les japonais nomment Iodemon, Isurukaki, Iorokukaki, ont une chair plus ferme et plus compacte que les précédentes : on ne peut les manger a la cuiller et l’on doit les laisser fermenter pendant dix jours avant de les servir. Des variétés encore plus tardives, dont les noms indigènes sont : Guibochi, Sochimaru, Isurumaru et Zendji, doivent fermenter plus longtemps. Ce sont des fruits de premier ordre, dont la chair rappelle celle d’une poire de Beurre avec plus de parfum et de sucre, surtout les variétés Guibochi et Zendji.

D’autres kakis, tels que les Yakumi, Chimanokaki, Chinomaru et Daichaudji, appartiennent aussi a la classe des kakis doux et ne sont pas inférieurs aux deux précédents, dont ils ont la chair ferme et compacte. On les consomme également a l’état vert, mais ils servent surtout a la fabrication de conserves sèches que l’on prépare comme les figues. On enlève la peau superficielle et on expose les fruits au soleil pendant un mois, après quoi on les emballe dans des petites caisses : ces kakis secs ont un parfum extraordinaire et sont fort recherches, même des européens. Parlons maintenant des kakis amers ou kakis d’hiver, qui comprennent beaucoup de variétés, dont les principales sont : Joyanna, Nachimiotan, Sakumiotan et Vchira-Kaki. Ces fruits mûrissent très tard et doivent être soumis a une fermentation d’un mois pour être débarrassés du tanin : ils ont alors les mêmes qualités que les kakis d’été et d’automne. Les fruits verts et quelques-unes des variétés amères sont aussi employés pour la production d’un vernis. Dans ce but, on enlève la peau et on les fait ramollir dans l’eau : on obtient alors une substance fluide appelée chibukaki, qui sert dans la teinturerie et la tannerie. Les pêcheurs en imprègnent leurs filets.

Les japonais s’en servent également comme d’huile pour délayer le noir de fumée avec lequel ils barbouillent les façades de leurs maisons en bois. Cette opération, qui a pour but de conserver les constructions légères, a le désavantage de noircir les mains et les vêtements des habitants, quand le mélange est détrempe par la pluie : aussi faut-il renouveler la couche au moins tous les trois ans. On peut se rendre compte, d’après cela, de quelle utilité sont les kakis pour les japonais. Le fruit est pour eux ce que sont l’orange et l’olive pour les peuples de l’Europe méridionale, la datte pour ceux de l’Afrique du nord, la banane pour ceux des régions tropicales ; l’arbre est, de plus, un trait caractéristique des paysages japonais. La naturalisation des kakis est en bonne voie chez nous ; il n’est pas douteux qu’elle fasse de rapides progrès, et qu’elle devienne une source de sérieux bénéfices pour les contrées ou cet arbre pourra être cultivé.

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kakis dans la revue horticole de 1887

Au 19° et début du 20° siècle, on retrouve de nombreuses sources bibliographiques sur le thème du kaki. Voici quelques extraits d’un article également intitulé « les kakis du Japon », paru dans la revue horticole en 1872 et rédigé par F.Coignet, ingénieur en chef des mines d’Ikouno au Japon :

La kaki est un arbre très commun au Japon ; il donne, peut-être a l’exception de quelques orangers, le meilleur fruit du pays. On le rencontre presque partout, et je suis certain qu’il croit et fructifie du 31° degré de latitude nord jusqu’au 38° degré au moins ; plus au nord, je ne puis affirmer sa présence, quoiqu’elle y soit probable. Il pousse a des altitudes très variées, depuis les bords de mer jusqu’à 1000 mètres, hauteur au-dessus de laquelle je ne l’ai pas remarqué, mais toujours dans les lieux humides et dans des terres argileuses chargées d’oxyde de fer, quelquefois très compactes. Il peut supporter des températures très différentes, depuis 38° de chaleur dans le sud de l’île de Kiousiou (Kyushu), province de Satsonia, jusqu’à 20° au-dessous de zéro dans l’île de Sado, 38° de latitude nord.

Il serait, je crois, très facile d’acclimater cet arbre en France, dans les pays humides ; il donnerait a nos jardins un bel arbre de plus, des fruits qui seraient bien vite très estimés, et un beau bois pour l’ébénisterie.

Un troisième article portant le même titre est paru dans la même revue en1885 et était signé de Xavier Fabre & fils, horticulteurs a Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. Ils y font part de leurs expériences de culture et sont moins optimistes sur les exigences et la rusticité des kakis.

Extraits :

Nous ne cultivons que les kakis a gros fruits ; voici le résumé de nos expérimentations : il faut a ces végétaux des terrains sablonneux, légers et perméables ; ils redoutent essentiellement les terres argileuses, humides, a sous-sol aqueux. Ils s’accommodent mal des hivers rigoureux, et, bien que rustiques, certaines espèces ne supporteraient peut-être pas les froids du nord de la France. Leur habitat parait être celui de l’olivier et du figuier.

Nous possédons un D.costata qui se couvre de fruits tous les ans. Les sujets qui conviennent a la multiplication des kakis sont le D.lotus, d’Italie*, et le D.virginiana, de l’Amerique, introduits depuis longtemps déjà dans les cultures françaises.

Les kakis sont l’une des principales ressources alimentaires du Japon, ou l’on en cultive plus de cent variétés ; ils sont déjà recherches a San-Francisco, ou quelques espèces sont cultivées et estimées.

*: La répartition naturelle de D.lotus est la Chine (Anhui, Gansu, Guizhou, Hebei, Henan, Hubei, Hunan, Jiangsu, Jiangxi, Liaoning, Shaanxi, Shandong, Shanxi, Sichuan, Yunnan, Zhejiang), l’ouest de l’Asie, le sud de l’Europe. Il est naturalise dans de nombreux pays autour de la Méditerranée.

Diospyros-costata-rev-Hort-1904.jpgDiospyros costata dans la revue horticole en 1904


Les kakis du Japon passionnent donc visiblement les jardiniers du 19°. En 1877, la revue horticole publie une lettre intitulée « des kakis japonais » reçue de P.Marchand, personne habitant la ville de San-Francisco. On y retrouve des informations citées dans les extraits ci-dessus mais également :

Extraits :

Le bois est très recherché par les japonais pour la sculpture de meubles, corniches et beaucoup d’objets d’art qui demandent un bois très serré. Les magnifiques ouvrages sculptés japonais exposés a Philadelphie au centenaire faisaient croire aux visiteurs que c’était du bois de noyer, étaient faits en bois commun teint avec du jus de Persimmons (le kaki).

Les localités ou l’on trouve les kakis au Japon sont a Iyo, dans Shikoku et dans le Musashi, ou Tokyo est situe. Les meilleures variétés sont Ono kaki, dont les fruits ressemblent a une orange ; sèches au soleil et mélangés avec du sucre, ces fruits sont conservés et vendus comme des figues. Le Kinerikaki a des fruits bons a manger frais, mais qui ne valent rien pour faire sécher. Enfin, pour finir ce tour bibliographique non exhaustif du 19° début 20° siècle sur les kakis du Japon, voici quelques extraits d’un article intitule « les kakis ou plaqueminiers du Japon » paru dans la revue horticole de 1904 et signe par Catros-Gerand.

Extraits :

Un officier de marine m’écrivait de Toulon le 20 octobre 1860 : « J’arrive du Japon et j’apporte quelques sujets d’un arbre fruitier inconnu en France. On en cultive plusieurs variétés, dont les fruits merveilleux ornent les boutiques des marchands de comestibles de Tokyo, Yokohama, et de toutes les grandes villes ». Je m’empressai de demander le coût de cet arbre merveilleux; la réponse ne se fit pas attendre : chaque sujet valait mille francs.

Au Japon, le kaki est l’arbre fruitier populaire. Ses fruits entrent dans des pâtisseries et les confitures.

On les fait sécher comme les prunes, les dattes, les figues ; ils entrent dans la préparation des boissonset d’une foule de produits industriels.

Sur le plan botanique, Diospyros kaki est une espèce tres variable et de nombreuses espèces décrites ne sont en réalité que des formes de celui-ci. De nombreuses variétés cultivées au Japon et en Chine sont issues de une ou plusieurs espèces sauvages.

L’arbre semble avoir été cité pour la première fois par Alv. Semedo dans son travail intitulé « Relatione della grande Monarchia della Cina » paru en 1643. On retrouve ensuite une figure et une description dans « Flora Sinensis » (1656).

L’arbre a été introduit en culture en 1789 par Joseph Banks. On retrouve plusieurs écrits sur les différentes variétés donnant des fruits en culture, comme par exemple D.costata dans le jardin de William Hutt en 1875 mais sans indications si l’arbre est cultivé en extérieur ou sous serre. A cette époque, la question de la rusticité du kaki revient souvent. En effet, des jardiniers français ont a cette époque noté que le kaki succombe aux hivers rigoureux de Paris. L’illustration parue dans Curti’s Botanical Magazine en 1907 a été réalisée à partir d’un sujet cultivé par C.Sahut, pépiniériste a Montpellier.

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Diospyros dans le Curti's Botanical Magazine en 1907